C’est une journée qui a mal commencer, une journée de merde comme on dit. Pas plus tard que ce matin, j’ai eu une autre engueulade avec Bri, une de plus, qui ne mènera à rien encore une fois, parce que les deux ont est butés et on n'a pas envie de donner raison à l’autre. Combien de temps encore on va passer sans même s’adresser la parole ? Que je vais voir le reproche dans ses yeux quand elle va me regarder... C’est des moments comme ceux-là où j’ai envie de tout plaquer et disparaître, j’avais bien moins de problème dans ma vie quand elle vivait à 5000 km de moi. L’idée aussi de déménager ensemble parce que maintenant on est fiancé. Avoir su, j’aurais pris une chambre dans une résidence et j’aurais continué d’aller la voir durant les vacances d’été, plus le temps passe avec elle et je me demande comment je vais faire pour faire le reste de ma vie avec.

Pfff, rien à foutre, je m’arrangerais pour trouver du travail loin, je lui ferais un gosse pour qu’elle ne soit pas seule... Non, ce ne serait pas très gentil pour le gosse si on regarde ça. Il n’y a pas de solution à mon problème et je vais devoir y faire face... Mais pas maintenant, je n’ai pas envie de à voir en ce moment, il est 19h et mon dernier cour de la journée vient de se terminer, ce n’est pas vrai que je vais rentrer chez moi tout de suite.

Je sors dehors, un instant histoire de fumer une clope, je viens de décider que je vais aller travailler à la bibliothèque, j’ai un travail à remettre bientôt après tout. Bri ne pourra pas m’en vouloir, c’est quand même à cause d’elle que je me retrouve ici. Concierge ce n’était pas assez bien pour elle, madame voulait que je fasse de quoi de plus prestigieux, un Hastings se doit d’être impeccable... Elle qui ne rêve que de porter ce nom qui lui a été promis depuis déjà de nombreuses années, Hastings et Forester, quelle puissance.

C’est déjà la fin de cette cigarette, je la jette dans un cendrier et je rentre, soufflant la fumée restante en ouvrant la porte et je me dirige vers la bibliothèque, au moins là-bas c’est tranquille et je vais pouvoir avancer mes travaux en paix. Je ne suis pas un étudiant modèle, mais je me débrouille et ce soir ça m’arrange bien de jouer les petits studieux. Je vais m’installer dans une des tables sur le côté, près d’un mur, je déballe mes livres sur la table, mon parchemin avec le début de mon travail déjà fait, encrier, plumes, je jette mon sac par terre et je mets mes pieds sur la chaise à côté de moi, le dos appuyer contre le mur et je révise mes notes avant de m’y mettre pour de vrai.

Qu’est-ce que je fais ici ? J’ai pas envie d’y être.... J’ai encore envie de fumer, ça et boire une bière....

Anastasia avançait d’un pas lourd vers la bibliothèque, pestant intérieurement contre ce foutu prof qui lui avait collé une dissertation parce qu’elle rêvassait pendant son cours. Une punition. Sérieusement, une punition à son âge ! Elle n’était plus une gamine, elle n’était plus à Poudlard.

Poudlard… Son cœur se serra en repensant à cette période de sa vie qui lui paraissait si lointaine. Tant de choses avaient changé. Elle avait changé, elle était devenue une adulte sérieuse et responsable. Même si c’était  certainement une vie moins palpitante, sa situation actuelle était tout de même plus reposante qu’elle ne se l’était imaginée. Déjà, elle ne ressentait plus les émotions des autres.  

Ca faisait d’ailleurs plusieurs années qu’elle avait « perdu » son don. Depuis qu’elle n’était plus avec Ludo en fait, même si elle refusait complètement de l’admettre. Quand bien même ils s’étaient séparés d’un commun accord, Ana n’avait pas supporté d’apprendre ses fiançailles avec cette fille. Et dire qu'il était déjà fiancé à l'époque ! C’était déjà assez dur de vivre loin de lui, ça l’était d’autant plus de l’imaginer avec une autre. Progressivement, elle s’était sentie s’éteindre, acceptant la réalité (parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire de toute façon) et son don s’était éteint avec elle. Comment ressentir la moindre émotion quand son propre cœur était une coquille vide ?

Ana se mit une baffe intérieure. Son esprit avait encore divagué sur Ludo. Pourquoi est-ce qu’elle n’arrivait pas à l’oublier après tout ce temps ? Il était fiancé. Fi-an-cé. Ana ne comptait plus le nombre de fois qu’elle s’était répétée ce mot dans sa tête. Des milliers ? Des millions ? Probablement même des milliards. La répétition, c’était censé être le meilleur moyen pour intégrer une information. Alors pourquoi avait-elle toujours ce point à l’estomac quand elle l’envisageait ?
Il était fiancé. A une femme de son rang. Intelligente, belle et forte, une digne représentante de la famille Hastings. Et ils étaient heureux. Et ils auraient plein d’enfants. Fin de l’histoire, Ana n’en faisait pas partie et il était temps qu’elle l’accepte.  

Oui, aujourd’hui, c’était décidé, elle allait prendre un nouveau départ et oublier Ludo pour de bon.  Elle sortirait ce soir et elle irait se chercher un nouveau bourreau des cœurs qui, accessoirement, ne serait pas fiancé.  

C’est donc toute fière de sa nouvelle vie qui commençait qu’elle pénétra dans la bibliothèque, affichant un air guilleret sur le visage tandis qu’elle parcourait les ouvrages du bout des doigts à la recherche du sujet de sa dissertation.

Bingo ! Attrapant le livre d’une main, elle s’apprêtait à faire machine arrière pour aller s’installer à une table plus loin lorsque son regard se posa sur une silhouette qui se trouvait tout pile dans l’encadrement vide de l’ouvrage qu’elle venait de prendre.  Elle bugua l’espace d’une seconde. Ludo. C’était Ludo. Est-ce qu’elle était en train de rêver ? Impossible, elle ne se serait jamais rendue à la bibliothèque dans un rêve. Est-ce qu’elle était encore en train d’halluciner ? Ce n’était pas la première fois qu’elle imaginait voir Ludo alors qu’il n’était physiquement pas là mais cela faisait bien longtemps que ça ne lui était plus arrivée.

Elle papillonna des paupières plusieurs fois, non il était toujours là. Oh. Mon. Dieu. Il était vraiment là ! Pas aujourd’hui, non non non ! Elle venait tout juste de commencer sa nouvelle vie, il n'avait pas le droit d'être là ! Se cacher, vite, c’était la meilleure solution, ou tout du moins c’était la meilleure option qui s’offrait à elle le temps que ses neurones se remettent à fonctionner correctement. Rapidement, elle fit un pas-de- chassé sur le côté pour venir se cacher derrière une étagère de livres.

Manque de chance, en grande Ana qu’elle était (elle avait beau avoir changé, certaines maladresses l’avaient suivi dans sa vie d’adulte), elle bouscula l’étagère adjacente qui s’écroula dans un bruit assourdissant, venant ensevelir Ludo au passage.

Ce n’était certes pas la première fois qu’elle l’assommait avec un livre mais tout était différent aujourd’hui.

D’un coup de baguette, elle remit rapidement tout ce qu’elle avait fait tomber en place avant que la bibliothécaire vienne lui chercher des noises. Son premier réflexe fut une envie incommensurable de se jeter sur Ludo pour s’assurer qu’il allait bien. Mais la petite voix intérieure de sa nouvelle vie avait brandit un panneau STOP dans son cerveau pour l’en empêcher.

Elle s’approcha donc, tout en restant à bonne distance pour être certaine de ne pas respirer malencontreusement les effluves de son parfum.

- Est-ce que ça va ?  demanda-t-elle d’un ton plus inquiet qu’elle ne l’aurait voulu, évitant cependant de croiser le regard du brun.

La lecture de mes notes n’avait rien de bien palpitant. Je connaissais déjà pas mal tout ce que j’avais à faire pour le travail, mais le fait de lire les notes étirait le temps et en ce moment, je devais l’avouer c’est ce que je voulais faire. Étirer le temps avant de rentrer chez moi, dans mon foyer que Bri avait décorer à sa manière. « Épurer et classe, le bordel n’a pas sa place ici ! » C’est ce qu’elle m’avait dit après que l’on se soit installé. Rendu là, je m’en foutais, c’était quand même elle qui payait la plupart des choses, j’avais de l’argent de côté à cause de mon boulot de concierge, mais on s’entends qu’actuellement je ne ramène pas d’argent plus qu’il le faut à la maison... Je travaille un peu l’été, mais simplement parce que je suis incapable de rester assis chez moi à rien faire, j’ai besoin de sortir.

M’enfin bref, j’étais tranquillement assis, je venais de déposer mes notes sur la table devant moi, quand une avalanche de livre me tomba dessus. Ils se replacèrent presqu’aussi rapidement que quand ils sont tombés, mais j’en avais reçu un bon coup quand même. Chance dans ma malchance, aucun encrier n’avait été brisé durant l’opération, j’allais me lever pour engueuler la personne qui n'était pas capable de laisser une étagère debout, sauf que mon souffle se coupa l’espace d’un instant. Je ne m’attendais pas à la voir ici, je n’avais pas eu de nouvelles depuis quelques années déjà, pas depuis que j’avais été obligé de lui annoncer mes fiançailles, elle ne m’avait plus jamais répondu et j’avais cessé à mon tour de lui écrire peu de temps après.

Sa voix, toujours aussi douce, j’aimerais m’en foutre et l’envoyer paître, sauf que je n’en suis pas capable. Je ne réponds pas, me contentant de la fixer pendant un long moment, j’aurais dû me douter que c’était elle... Après tout, il y avait toujours quelque chose qui tombait quand elle était dans les parages, quand ce n’était pas elle, c’était nous deux à cause d’une araignée dans un couloir sombre des cachots par exemple, ou un verre qui était trop proche d’un bord de table, n’importe quoi qui n’était pas à l’abris en d'autres mots.

Je me frotte la tête pour essayer de garder ma contenance. Je me sentais con et ridicule en ce moment, on avait eu une amourette et rien de plus. En tout cas c’est ce que la plupart des gens me disaient quand ils avaient appris que j’avais sorti avec une élève de l’école ou je travaillais. Que j’avais été con de profiter de l’innocence d’une pauvre demoiselle. Mais je pense quand même que c’était plus que ça, mais c’était interdit, c’était mal vu. J’étais un adulte sensé être responsable, mais quand on regarde ça, j’étais à peine plus vieux que certains étudiant de l’école, mes parents ont plus que trois ans d’écart et on ne dit pas que ma mère à profiter de son don de vélane pour mettre la main sur un sorcier puissant, pourquoi on ne disait pas la même chose de moi ? Parce que j’étais un bum ? Un mauvais exemple pour les autres ?

« Euh.... » La seule réponse que j’ai pu sortir de ma bouche, je n’ai rien dit pendant plusieurs minutes, elle devait même se demander ce qui se passait avec moi. « Tu … euh.. » Merde pourquoi j’étais aussi con ? Le grand indifférent n’était pas vraiment indifférent. Son visage si doux, purée, c’est là que je me rends compte qu’elle me manquait. « Je crois que je vais avoir une belle bosse derrière la tête encore ! » Je ris, gêné. « Tu peux t’asseoir si tu veux, je vais te faire de la place. » Il y en avait pleins d’autres tables de libre, mais je ne voulais pas laisser passer ma chance de lui parler, je crois qu’on a beaucoup de chose à se dire... Elle a le droit de savoir le pourquoi je suis fiancé, le fait aussi que je ne l’aime pas... Un mariage arrangé, mais dans le fond elle n'en a peut-être rien à faire de moi, elle doit avoir trouver quelqu’un depuis le temps. Elle est peut-être mariée, fiancée...

« Anouchka, je veux juste m’excuser, je ne voulais pas te faire de peine. » Au moins ce sera dit, elle fera ce qu’elle veut, si elle veut m’éviter maintenant je comprendrai. Je ne peux pas vraiment rien lui apporter de bon, je ne comprends même pas que j’aille choisi de suivre la voix que mes parents ont tracés pour moi. Même ce retour à l’école avait de quoi les faire jubiler à l’heure actuelle, même si je ne leur parle plus vraiment, sauf quand je n’ai pas le choix dans les réunions familiales....

Le temps passait et Ana n'obtenait pas de réponse à sa question. Est-ce qu'il était devenu muet à Poudlard ? Pire, est-ce qu'elle avait amoché une partie de son cerveau en lui faisant tomber une étagère dessus et l'avait donc rendu muet ? S'il existait vraiment un dieu moldu, c'était le moment qu'il se manifeste. La Terre risquait de s'arrêter de tourner si on la privait d'une voix aussi délicieuse que celle de Ludo.

« Euh.... » « Tu … euh.. »

Ouf, sauvé. Minute, depuis quand est-ce que Ludo se retrouvait décontenancer ? Est-ce qu'il y avait ne serait-ce qu'un infime espoir qu'elle soit la source de son trouble ? Non impossible, c'était certainement un effet secondaire du coup qu'il venait de recevoir sur la tête.

« Je crois que je vais avoir une belle bosse derrière la tête encore ! »

Sa voix. Son rire. Existait-il quelque chose de plus merveilleux ? Oui, son visage rivalisait certainement avec le reste. Merlin qu'il était beau ce garçon. Les souvenirs qu'elle avait de son beau visage n'étaient au final qu'une pâle copie de la réalité.

« Tu peux t’asseoir si tu veux, je vais te faire de la place. »

- M'asseoir ? répéta-t-elle tout bas, hébétée. Son regard se posa sur la chaise, puis sur Ludo, puis de nouveau sur la chaise jusqu'à ce qu'une ampoule se mette à clignoter dans sa tête.

- Ah, oui, m'asseoir.

Elle installa donc ses affaires et s'assit en face de Ludo. Erreur tactique puisqu'elle était donc obligée de l'avoir dans son champs de vision. D'un autre côté, si elle s'était mise à côté, elle aurait certainement reçu son parfum en plein dans le nez. Elle était fichue d'un côté comme de l'autre.

Elle prit une grande respiration pour se redonner contenance. Après tout, elle avait démarré sa nouvelle vie. Bon certes, c'était seulement quelques minutes tôt mais ça comptait quand même. Ludo était de l'histoire ancienne, elle était donc parfaitement capable de parler avec lui comme une vieille connaissance.

« Anouchka, je veux juste m’excuser, je ne voulais pas te faire de peine. »

Aïe. Pourquoi avait-il fallu qu'il mette les pieds dans le plat ? C'était déjà assez difficile de le revoir, elle n'avait pas besoin de subir un nouveau choc émotionnel à peine quelques seconde après le premier. Et puis, lui faire de la peine ? Elle avait envie de lui hurler qu'il ne lui avait pas juste fait de la peine, il l'avait brisé. Mais ses paroles étaient les paroles de l'ancienne Ana, celle de la gamine qu'elle avait enterré à Poudlard.

- Tu n'as pas à t'excuser. C'était mieux comme ça, pour toi comme pour moi. Et puis c'est moi qui ai cessé de t'écrire, alors j'imagine qu'on est quitte ?

Elle avait parlé sur un ton détaché, pour lui montrer que c'était de l'histoire ancienne, qu'elle ne s'en souciait plus et qu'elle voulait faire la paix. Il était hors de question qu'elle admette avoir pensé à lui chaque jour depuis qu'ils s'étaient quittés alors que lui coulait tranquillement des beaux jours avec sa fiancée. Et puis, elle ne pouvait pas le lui reprocher. Il était beau comme un dieu, des amourettes de ce genre, il avait dû en avoir des dizaines, c'était elle qui avait fait l'erreur de s'attacher, ses parents l'avaient pourtant prévenu.

Ouvrant l'ouvrage qu'elle avait récupéré et sortant son parchemin et sa plume, elle se mit à noter quelques informations qui n'avaient strictement aucun sens entre eux mais elle avait besoin de détacher son regard du brun si elle ne voulait pas éclater en sanglot dans la minute.

- Au fait, qu'est-ce que tu fais ici ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils, levant le nez de ses gribouillis. Qu'est-ce qu'il fichait ici, loin de Poudlard ? Pourquoi fallait-il qu'il se pointe pile au moment où elle avait tourné la page ? Parce qu'il était évident qu'elle l'avait tourné cette page hein...

Un crapet soleil hors de l’eau, j’ai l’impression que c’est ce que je suis, alors que je l’avais déjà comparé à ça dans le passé. Mais cette fois c’est moi qui semble incapable de parler. Je crois que ce n’est pas que dû au choc de l’étagère, mais bien parce que je ne pensais jamais la revoir. Et la revoir, ça vient tout chambouler ce que j’avais comme plan, comme essayer d’être heureux qui ne veut que le prestige que le nom Hastings peut lui rapporter. Et faut pas douter que Briana le fait savoir à tout le monde qu’elle est une future Hastings et qu’elle est choisi par la famille depuis des années. Je ne sais même pas si elle m’aime ou encore si elle est déçue d’être tombé sur le mouton noir de la famille. Oh pour vrai, elle me trouve beau, mais est-ce que c’est vraiment un compliment sachant que j’ai du sang de vélane ?

Ce n’est pas vraiment une bonne idée de penser à Briana en ce moment, je risque de faire une grimace dédaigneuse et je ne veux pas qu’Anastasia pense qu’elle me dégoûte, parce que c’est tout le contraire, elle est aussi jolie, sinon plus qu’avant encore. Elle a encore ce petit air innocent que j’aime bien. Je souris en coin quand elle bloque sur le mot s’asseoir. Je suis donc soulagé lorsqu’elle accepte et s’installe, je ramasse un peu mes choses pour lui laisser de la place.

J’ai l’impression de lui devoir des excuses, je l’ai blessé c’est certain, sinon elle n’aurait pas arrêté de m’écrire comme ça. Ce n’était pas évident de se contenter d’un hibou de temps à autres, mais j’avais l’impression d’être proche quand je lisais ses lettres.

Je tente de garder contenance quand elle me dit que c’était mieux comme ça, pour chacun de nous. Parce que je sais que ce l’est pas, je sais que ce n’était pas le mieux, on a fait ce que les autres voulaient qu’on fasse, parce que le scandale qu’on avait déclenché était trop grave. Je voulais garder un job, pourtant des jobs il y en a plein non ? J’aurais pu trouver autre chose et ne pas écouter ce que les autres pensait de moi, comme je faisais normalement. Mais c’est pour elle que j’avais craint, pour une fois je n’avais pas pensé qu’à ma petite personne et je voulais qu’elle réussisse.

« Tu as raison, on est quitte... »

Dis-je en haussant les épaules, si c’est ce qu’elle pense, elle a peut-être passé à autre chose. Pourtant en la voyant je le sais que moi pas. Je me penche à mon tour sur mes notes et je commence à faire mon devoir. Je ne suis plus vraiment concentré, je passe mon temps à lever les yeux vers elle. Je soupire le plus silencieusement possible. J’ai été con, voilà ce que j’ai été, il n’y a rien d’autre à ajouter et je ne pense pas que je vais pouvoir faire quoi que ce soit de plus, être son ami... Je ne pense pas que j’aille envie d’être seulement son ami.

OK, je le sais, je ne suis plus disponible et j’ai des obligations envers Briana, mais que sais-je de sa situation à elle ? Je m’en fou de ma situation à moi, je ne suis plus dans une position d’autorité maintenant, ni de patron autre que ma future femme. Sa question qui vient de nulle part me fait me redresser.

« Bah... J’étudie... j’ouvre des livres et je lis ce qu’il y a dedans... Je suis ici depuis deux ans, j’ai bien hâte de finir avec tout ça je t’avouerais. »

J’ai envie de rire, c’est vrai que ça peut paraître de me voir moi avec des livres, je suis loin d’avoir la tronche d’un mec studieux. Ce n’était pas pour rien que j’avais choisi d’aller travailler quand mes parents m’avaient donné un ultimatum, pour moi il était hors de question que j’étudie. Et... Mais merde, dans le fond je me suis fait manipuler par elle.... « La salope… » Je me redresse vitement, je ne veux pas qu’elle pense que je la traite elle de la sorte donc j’essaie de me reprendre le plus vite possible. « Pas toi, non pas toi, Briana... je... Oh et puis merde quoi, c’est à cause d’elle que je suis ici pis je viens de me rendre compte qu’elle m’a manipulé. »

Oh merde que je suis con. Les rôles sont inversés ou quoi ? C’est vraiment moi qui ai l’air d’un imbécile devant elle.

« Tu as raison, on est quitte... » dit-il en haussant les épaules.

C’était douloureux à entendre mais au moins Ana était fixée sur la question, il était passé à autre chose. Comment en aurait-il été autrement de toute façon ? Ana avait vu Briana à l’université, elle était supérieure à elle en tout point. Bien plus belle, plus intelligente, plus confiante, plus ambitieuse, plus Hastings en somme. D’ailleurs, elle avait aimé le crier sur tous les toits.

« Bah... J’étudie... j’ouvre des livres et je lis ce qu’il y a dedans... Je suis ici depuis deux ans, j’ai bien hâte de finir avec tout ça je t’avouerais. »

Deux ans ? Comment ça deux ans ?! Comment est-ce que c’était physiquement possible qu’ils ne soient jamais croisés en deux ans ? Bon, en même temps, la W.I.S.E était un campus absolument gigantesque. Et ce n’était pas comme si Ana était sortie souvent ces dernières années… Mais quand même, c’était sacrément pas de chance. Ou peut-être que c’était simplement un signe du destin. Oui, s’ils ne s’étaient jamais croisés, c’était simplement parce qu’ils n’avaient rien à faire ensemble.

Replongeant le nez dans ses notes en essayant vaguement de comprendre pourquoi est-ce que les mots « sortilège » et « plante verte » se retrouvaient dans la même phrase, elle tourna vers lui des gros yeux d’incompréhension lorsqu’elle l’entendit prononcer un « salope » qui avait l’air de sortir du fin fond de son cœur.

« Pas toi, non pas toi, Briana... je... Oh et puis merde quoi, c’est à cause d’elle que je suis ici pis je viens de me rendre compte qu’elle m’a manipulé. »

Briana. Elle grimaça en l’entendant prononcer son prénom. C’était d’un côté terriblement injuste parce qu’au fond, elle ne la connaissait pas (et elle n’avait pas envie de la connaître), mais elle détestait cette fille qui avait gagné le droit d’être fiancée à un Hastings juste grâce à son nom de famille. Elle n’aurait jamais cru que s’appeler Stonehenge lui aurait apporté tant de malheur. C’est vrai que sa famille n’avait plus trop la côte auprès des sangs-purs ces dernières années, depuis qu’ils avaient ouvert leur site touristique aux visites moldus… Mais elle n’y était pour rien. Et puis de toute façon, même si elle y était pour quelque chose, il n’y avait rien de mal. Fichues règles de sang-pur à la noix.

Manipulé qu'il avait dit ? Il parlait certainement pour les études... C'est vrai qu'elle trouvait ça bizarre de le voir là, assis dans une bibliothèque au milieu de livres d'école. Non pas qu'il n'était pas intelligent, loin de là, mais elle avait toujours pensé qu'il faisait partie de ces génies au parcours atypique, dont le cerveau n'était pas adapté au cursus scolaire. Mais Briana avait apparemment changé ce point. L'amour rend aveugle, voilà comment Ana avait interprété les mots de l'ancien concierge.

- Je suppose que l'amour fait parfois faire des folies, répondit-elle d'un ton plus froid qu'elle ne l'aurait voulu, crispant les doigts sur sa plume. La tristesse passée, elle était en colère. En colère contre cette fichue dissertation qui l'avait amené à la bibliothèque, en colère contre sa maladresse qui l'avait empêchée de fuir, en colère contre Ludo qui osait lui parler de Briana comme si de rien n'était, en colère contre elle-même parce qu'elle n'avait aucune légitimité de lui en vouloir en fin de compte.

Se prenant la tête entre les mains, elle inspira un bon coup. Elle devait probablement passer pour une cinglée mais tant pis, elle avait besoin de respirer si elle ne voulait pas éclater comme un ballon.

- Souffler un peu, ça fait du bien parfois pour se remettre les idées claires. On sort en ville avec mon copain ce soir, ça te dirait de te joindre à nous ? Enfin, avec Briana bien sûr. Depuis le temps que j'en entends parler, il faudrait que tu me la présentes.

Elle avait sorti sa tirade d'une traite. Mais merde qu'est-ce qu'elle avait raconté ?! Elle n'avait pas de copain. Pas plus qu'elle n'avait envie de rencontrer Briana. Mentir, ce n'était pas son genre pourtant, encore moins à Ludo. La nouvelle Ana avait apparemment pris les commandes et décidé de montrer qu'elle avait avait tourné la page une fois pour toute.

Qu’est ce qui se passait avec moi ? J’étais rendu à me parler seul, pas vraiment parce que en fait j’avais une spectatrice, mais je parlais dans ma barbe à voix haute. Je n’aurais pas dû parler de Briana, en tout cas, la traiter de salope devant Ana. Je ne suis pas heureux en ce moment, on se demande pourquoi, mais je ne suis pas obligé de le crier tout haut non plus. 
On a l’air de quoi ? Depuis quand c’est aussi délicat de se parler et on ne se ressemble plus, les années ont passé et voilà de quoi on a l’air, de deux étrangers, comme si on ne se reconnaissait plus. Comme si le temps avait effacé les sentiments qui nous avaient un jour habité. Je me sens con en ce moment, je m’en veux d’avoir senti mon cœur se mettre à battre plus vite, d’avoir eu l’espoir que tout redeviendrait simple comme avant.  

Je suis tellement concentré sur mes pensées que je n’ai pas vu la grimace sur son visage, je vois sans voir et j’entends sans entendre. C’est drôle, j’ai encore moins la tête à faire mon travail. 

Comment mon « amour » pour Briana m’avait fait des folies ? Ce n’est pas avec elle que j’aurais défié les lois, ce n’est pas avec elle que j’aurais eu une relation interdite. Elle est gentille quand elle le veut ma future femme, elle est belle et ça je n’ai rien à redire contre ça, on parait bien ensemble, mais ce n’est pas elle qui me donne envie de faire des folies. Je ne réponds pas à cette phrase, parce que ce n’est pas ce qu’elle aimerait entendre, je viens de me rendre compte que cette page que je pensais avoir tourner est rester là, avec un signet indécollable. Ce que je fais ce n’est pas pour moi, c’est pour plaire aux autres, pour mon image, ma petite sœur doit être si fière, mais Briana a toujours quelque chose à redire, je le sais qu’elle est déçue d’être avec moi. Elle aimait mieux le Ludo qu’elle avait connu à Chicago. 
Il se passe tellement de chose dans ma tête que je me sens étourdi en ce moment, j’essaye de suivre ce qui se passe, mais c’est comme si je n’habitais même plus dans mon corps, comme si je flottais au-dessus de la scène et que je tentais de la déchiffrer. Comment moi, Ludo, pouvait se laisser aller à tant d’émotions au même moment, pourquoi surtout je n’arrivais pas à être indifférent à l’intérieur de moi, parce que je tentais d’afficher une mine impassible, celle qu’on me connaissait. Est-ce que c’était crédible ? Je n’en ai aucune espèce d’idée !

« Briana ne se sentait pas bien ce matin, je lui ai promis d’aller la rejoindre après avoir fini mon travail, je ne crois pas que ce soit possible ce soir... Mais on peut se reprendre, j’aimerais bien rencontrer ton copain ! » 

MENSONGE, je n’ai nullement envie de le rencontrer, mon poing dans sa gueule peut-être, mais moi non. Je n’ai pas envie de faire semblant que tout va bien. Briana comprendrait trop de choses de toute façon, elle saurait que c’est elle l’étudiante. Malheureusement Bri me connaissait un peu trop bien sur certains points, elle verrait que je ne regarde pas Ana comme je la regarde elle. 

« Vous allez où ? C’est bon parfois d’avoir des idées de place sympa où sortir. » 

C’est quoi ? Je vais aller l’espionner ? Parce que Merlin sait que je ne vais pas rentrer chez moi directement ce soir. Oh non, pas maintenant que je l’ai vu. Je ne pourrais pas faire semblant devant Briana et je le sais qu’elle risque d’être en colère déjà parce que je ne l’ai pas averti que je rentrerais plus tard et surtout, même si je hait l’admettre, c’est qu’elle ne mérite pas de recevoir la colère qui gronde au creux de mon ventre. Je le sais que je n’aurais pas de patience et que je risque de l’engueuler parce que j’ai été con ! 

Pourquoi je reste encore ? Que je ne me lève pas ? J’ai déjà sorti l’excuse de Briana qui ne se sentait pas bien je pourrais profiter de l’occasion pour me sauver et faire comme si «  Oh Merlin il est tard ! » C’était une mauvaise idée de l’inviter à s’asseoir ! C’est maintenant que je m’en rend compte !

« Briana ne se sentait pas bien ce matin, je lui ai promis d’aller la rejoindre après avoir fini mon travail, je ne crois pas que ce soit possible ce soir... Mais on peut se reprendre, j’aimerais bien rencontrer ton copain ! »

Anastasia venait de frôler la crise cardiaque. Briana qui ne se sentait pas bien... Oh par merlin si ça se trouve elle était enceinte. Respire Ana, respire. Inspiration, expiration. Ludo allait être papa... IL ALLAIT ÊTRE PAPA. C'était la catastrophe. Bien sûr, c'était déjà la catastrophe avant mais là, Ana avait touché le fond. S'il avait un enfant avec cette fille, ça marquait le point final de leur histoire.

Elle écoutait Ludo sans l'entendre, focalisée sur le fait qu'elle était certaine qu'il attendait un enfant avec Briana. Ce qu'il voulait dire qu'ils avaient... fricoté. Ce qui était de toute façon évident. Ludo restait un homme avec des.. besoins et Briana était une belle femme. Stop, il fallait qu'elle arrête tout de suite le fil de ses pensées sinon elle allait vraiment faire une attaque.

- Euuuh... Oui, répondit-elle en ayant absolument aucune idée de ce à quoi elle venait de répondre.

- Je... Euuhh...

Voilà que c'était son tour de bégayer n'importe quoi. Mais rien à faire, elle n'arrivait pas à connecter deux neurones entre elles. Elle avait touché le fond, c'était certain. Elle sentait les larmes monter sans qu'elle ne puisse rien faire pour les retenir. Hors de question que Ludo la voit dans cet état, elle ne voulait pas de sa pitié et elle ne voulait surtout pas qu'il se sente coupable. Parce qu'il devait se concentrer sur sa future petite famille.  

- Dois y aller, à plus tard et puis euh... félicitations, baragouina-t-elle dans son menton en rangeant précipitamment ses affaires. Elle serait certainement partie en courant si elle n'était pas certaine de finir les fesses par terre avant d'avoir fait trois pas.

Elle ne voulait plus le voir, plus jamais.